Un jour, je poussai la porte d’une galerie qui, à première vue, semblait pouvoir être intéressée par mon travail.
« Je ne regarde pas sur internet. Si vous voulez, amenez-moi quelques tableaux, » dit le galeriste, sans détour ni chaleur particulière.
Quelques jours plus tard, je revins avec mes œuvres, un mélange d’espoir et de trac au creux du ventre. Le galeriste tourna autour de mes tableaux, les observant sous divers angles, tout en grommelant des mots que je peinais à comprendre. Puis, après une longue pause, il lâcha :
« Je suis très embêté. J’ai déjà un peintre comme vous ! Cela fait longtemps que je travaille avec lui, et je ne voudrais pas lui faire de la concurrence, » dit-il en désignant un grand tableau trônant fièrement sur un mur.
Je pris une inspiration et rétorquai calmement qu’il y avait, certes, des correspondances entre nos travaux, mais que cela ne justifiait pas de me considérer comme un simple doublon. C’était d’ailleurs cette affinité stylistique qui m’avait attiré dans cette galerie. Il resta silencieux un instant, avant de détourner la conversation pour me livrer une série de conseils d’ordre technique : la qualité des châssis, l’importance de soigner les finitions… Et surtout – surtout – il insista pour que je ne laisse plus la peinture baver sur les bords de mes tableaux.
Tout en l’écoutant, je jetai un coup d’œil au fameux tableau de mon « jumeau stylistique ». Ironie du sort : il était lui-même orné de nombreuses coulures sur les bords.
« Vous lui avez dit, à votre peintre ? » demandai-je, un sourire en coin.
À cet instant, je vis le galeriste découvrir, avec une gêne mal dissimulée, les bavures inesthétiques qu’il n’avait apparemment jamais remarquées. Il chercha une réponse, en vain. Amusé, je lui tapotai amicalement l’épaule avant de repartir avec mes tableaux sous le bras, un peu plus léger qu’en arrivant.